vendredi 27 février 2015

Birdman (2015)

Titre original : Birdman or (The Unexpected Virtue of Ignorance)

Date de sortie française : 25 février 2015

Réalisateur : Alejandro González Iñarritu

Scénario : Alejandro González Iñarritu, Nicolás Giacobone, Alexander Dinelaris et Armando Bo (d'après la nouvelle "What We Talk About When We Talk About Love" de Raymond Carver)

Directeur de la photographie : Emmanuel Lubezki

Musique : Antonio Sánchez

Durée : 1h59

Avec : Michael Keaton, Edward Norton, Emma Stone, Zach Galifianakis et Naomi Watts



Synopsis À l’époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego…
S’il s’en sort, le rideau a une chance de s’ouvrir... (Source : Allociné)

Mon avis


Tout juste auréolé de 4 Oscars (dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur) et plus de 4 mois après sa sortie américaine (encore une idée de génie des distributeurs français), Birdman débarque enfin dans nos contrées après s'être fait douloureusement attendre par tous ceux qui, comme moi, avaient été totalement emballés par la bande-annonce.
Je l'attendais d'autant plus que, pour une fois, le film semblait se démarquer de manière assez radicale des habituels films à Oscars totalement formatés et souvent (il faut bien le dire) ennuyants.

Il s'avère que ce Birdman est exceptionnel sur pas mal de points et je tenais vraiment à revenir dessus et à le défendre car il m'a l'air incompris par pas mal de monde.

Le film relate l'histoire de Riggan Thomson, ancien acteur qui avait connu la gloire avec une série de films dans lesquels il jouait le super-héros Birdman.
Désormais déchu, il tente de se reconstruire une reconnaissance et une crédibilité en montant une pièce de théâtre où il est à la fois metteur en scène et comédien.

Quiconque connaît un minimum Michael Keaton devrait tout de suite voir le parallèle entre l'histoire de Riggan et celle de Keaton lui-même. Alors que le premier a connu le succès dans Birdman au début des années 1990, le second a connu son heure de gloire en tenant le rôle de Bruce Wayne dans les deux Batman de Burton (Batman en 1989 et Batman : Le Défi en 1992). Keaton, tout comme son personnage, est ensuite un peu tombé dans l'oubli avant de renaître avec ce rôle hors du commun.
De plus, autant Riggan que Keaton souffrent du syndrome du "mec qui a joué Batman / Birdman" sans que les gens ne sachent vraiment qui est derrière le masque et sans savoir reconnaître leur talent.
De ce point de vue, c'est un vrai tour de force que nous propose Keaton avec cette véritable mise en abîme de lui-même.


Le personnage de Keaton n'est pas le seul à représenter cette mise en abîme du métier d'acteur en général : nous avons Sam Thomson (Emma Stone), la fille de Riggan, qui représente la toxicomane (fléau toujours bien présent à Hollywood), Mike Shiner (Edward Norton) qui représente l'égocentrique avec ce personnage imbu de lui-même au possible et Lesley (Naomi Watts) qui représente l'ambition, l'envie de convaincre pour sa toute première représentation à Broadway.
Nous avons donc différents archétypes du cinéma hollywoodien actuel, chaque personnage ayant son caractère propre et ceci est extrêmement bien exploité dans le film, j'y reviendrai plus tard.

Le casting est vraiment excellent et l'audace de Iñarritu est d'ailleurs à souligner car il donne le rôle le plus sérieux à Zach Galifianakis, plutôt connu pour ses interprétations déjantées. A côté de la renaissance de Michael Keaton et de la performance de Norton, Emma Stone prouve encore une fois qu'elle peut faire des merveilles quand elle est bien dirigée, son jeu de regard est d'ailleurs toujours autant merveilleux (je pense en particulier à une scène de dispute avec son père où elle passe en une fraction de seconde de la colère à la tristesse par un simple changement de regard).
La fille de Riggan est d'ailleurs très intéressante de par son histoire et le fait qu'elle soit le seul personnage principal à ne pas avoir de rôle dans la pièce montée par son père. Ses apparitions apparaissent donc comme des moments de pause dans cet engrenage infernal qu'est Birdman.

Il est à noter qu'Edward Norton se retrouve ici dans son élément, lui qui a joué dans de nombreuses pièces durant sa carrière, il avoue d'ailleurs avoir été impressionné par la retranscription que fait Iñarritu du monde du théâtre.


Attaquons maintenant le gros morceau, ce qui fait toute l'âme du film et lui donne tout son sens : la réalisation.
Tout le film est constitué uniquement de plan-séquences et ceux-ci sont montés de manière à ce qu'aucune coupe franche ne soit visible au premier coup d'oeil, si bien que le film entier semble être un unique plan-séquence d'une durée de deux heures. C'est un véritable tour de force que nous délivre ici Iñarritu, tant la coordination doit être parfaite entre les acteurs et les cadreurs pour réussir de tels plans. Il suffit qu'un des acteurs marche trop vite ou trop lentement pour faire foirer la séquence, ils doivent également savoir exactement à quel moment apparaître et disparaître du champ.
La méthode n'est pas sans rappeler La Corde de Hitchcock mais les effets numériques permettent, de nos jours, de cacher les coupes de manière extrêmement ingénieuse et stylisée.
Ces effets permettent d'ailleurs certains mouvements de caméra tout bonnement hallucinants d'ingéniosité.

En plus d'être un exercice de style maîtrisé à la perfection, le plan-séquence sert complètement le message du film. En effet, tels les acteurs d'une pièce de théâtre qui se succèdent l'un après l'autre sur la scène, la caméra de Iñarritu va "jongler" d'un personnage à l'autre de manière très fluide.
L'histoire se déroulant sur plusieurs jours, il a fallu trouver un moyen d'insérer des ellipses temporelles sans couper le plan-séquence. Plusieurs techniques sont utilisées mais les plus impressionnantes sont celles qui consistent à voir apparaître le même personnage à deux endroits différents dans le même "plan" et ceci dans un laps de temps très court (je pense par exemple à la scène où Mike est sur une estrade au-dessus de la scène avant de se retrouver sur celle-ci, tout ça dans un même plan !).

La quasi-totalité (si ce n'est la totalité) du film étant tourné en steadicam, la fluidité dans le suivi des acteurs est totale (chose que l'on ne pourrait pas atteindre avec une simple caméra posée sur rails).
Les dialogues s'affranchissent bien évidemment des habituels champs/contre-champs pour privilégier les mouvements circulaires autour des personnages.
Tout est toujours vu d'un seul point de vue, renforçant encore plus la dimension théâtrale du métrage où le spectateur assiste à la représentation sous un seul angle.

J'ai lu et entendu beaucoup de critiques comme quoi le film était prétentieux dans sa réalisation. J'ai cependant de la peine à voir où est la prétention là-dedans. Il faut être sacrément couillu pour se lancer dans un projet tel que celui-ci et le concept du plan-séquence est un exercice de style qui, au pire, s'avérera vain. Ici, comme je l'ai déjà mentionné, le plan-séquence est le cœur du film et est complètement un reflet de celui-ci en plus d'être impressionnant à regarder.


Le chef opérateur, Emmanuel Lubezki, s'impose encore plus comme étant l'un des meilleurs directeurs photo actuels. Une telle maîtrise impose forcément le respect quand on sait à quel point il est difficile de maîtriser la lumière quand on utilise des plans séquences qui peuvent faire passer les personnages d'endroits complètement éclairés à d'autres beaucoup plus sombres.
Si je devais citer une séquence qui m'a particulièrement marquée, ce serait celle où Riggan est obligé de se promener en slip au beau milieu de Times Square après avoir eu un incident de peignoir. En plus de son côté absurde, cette scène est visuellement magnifique à regarder !

Comme mentionné plus haut, le film met en abîme le métier d'acteur et la difficulté de se faire un nom. Nous avons également droit à une critique assez exacerbée des blockbusters actuels (et plus particulièrement des films de super-héros).
Cet aspect est pointé du doigt essentiellement par les hallucinations de Riggan qui se manifestent sous la forme de Birdman lui-même qui lui parle - dans sa tête - avec une voix très grave (rappelant d'ailleurs un peu celle du Batman de Nolan) et qui apparaîtra même physiquement au cours de la séquence la plus folle du film. Celui-ci lui conseille de laisser tomber sa pièce et de reprendre son ancien rôle, même si c'est très mauvais les gens paieront de toute façon pour aller voir.
La pique fait mal mais vise totalement juste : le public lambda d'aujourd'hui ira voir les yeux fermés un film dès que "Marvel" figurera sur l'affiche et ce même s'il s'avère être le plus gros navet de tous les temps.

Iñarritu assume toutefois un côté totalement ironique dans le choix du casting, ce n'est en effet pas un hasard si Michael Keaton (Batman), Edward Norton (Hulk) et Emma Stone (The Amazing Spider-Man) ont tous les 3 joué dans un de ces fameux films de super-héros auparavant. Naomi Watts a d'ailleurs elle aussi connu la gloire avec son rôle dans un gros blockbuster, le King Kong de Peter Jackson.

La musique, presque uniquement constituée de batterie jazz, n'est d'ailleurs pas en reste. Composée (et énormément improvisée) par Antonio Sánchez, elle joue également un rôle dans l'ambiance si particulière du film. Le batteur apparaît même carrément à l'écran à certains moment, comme pour montrer la volonté de Iñarritu de faire voir "derrière le rideau".


Après le triomphe d'Alfonso Cuarón avec Gravity l'an passé, Iñarritu prouve encore une fois que les mexicains peuvent faire des merveilles. Celui-ci apporte un peu de folie au cinéma américain un peu trop formaté et réussi l'exploit de nous présenter un film dans lequel règne un chaos constant, tout en étant millimétré du début à la fin.
L'utilisation du plan-séquence permet non seulement de rendre la mise en scène extrêmement fluide, mais c'est également le procédé qui permet le mieux aux acteurs d'exprimer leur jeu car ils ne sont que rarement interrompus dans leurs dialogues.

Birdman a beau durer 2h, le visionnage est tellement jouissif que j'aurais volontiers prolongé l'expérience 30 minutes voir même 1h de plus !
Débordant d'humour parfois absurde et souvent noir, le film réalise pratiquement le sans faute. Certains pourront lui reprocher un dénouement un petit peu trop "facile" mais ce serait oublier tout ce que le film a construit avant. La toute fin pourra d'ailleurs être interprétée de différentes manières... mais au final, est-ce vraiment important ?
Tel The Grand Budapest Hotel il y a pratiquement un an jour pour jour, Birdman s'annonce déjà comme un des grands films de 2015, à aller voir de toute urgence !

...n'en déplaise à certains.

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