dimanche 6 septembre 2015

Apocalypse Now (1979) - Version Redux (2001)

Titre : Apocalypse Now

Date de sortie française : 26 septembre 1979 (sortie nationale)

Réalisateur : Francis Ford Coppola

Scénario : John Milius, Francis Ford Coppola, Michael Herr (d'après la nouvelle Heart of Darkness de Joseph Conrad)

Directeur de la photographie : Vittorio Storaro

Montage : Lisa Fruchtman, Gerald B. Greenberg, Walter Murch

Musique : Carmine Coppola, Francis Ford Coppola

Durée : 2h21 (Version Redux : 3h14)

Avec : Marlon Brando, Martin Sheen, Robert Duvall, Frederic Forrest, Sam Bottoms, Laurence Fishburne, Albert Hall, Harrison Ford

Synopsis Cloîtré dans une chambre d'hôtel de Saïgon, le jeune capitaine Willard, mal rasé et imbibé d'alcool, est sorti de sa prostration par une convocation de l'état-major américain. Le général Corman lui confie une mission qui doit rester secrète : éliminer le colonel Kurtz, un militaire aux méthodes quelque peu expéditives et qui sévit au-delà de la frontière cambodgienne. (Source : Allociné).

Mon avis


Alors que je voulais à la base juste écrire quelques lignes sur Apocalpyse Now (comme je le fais depuis peu), je me suis rendu compte que j'avais finalement beaucoup à dire sur l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de l'histoire, que ce soit au niveau du film en lui-même ou de tout ce qui a entouré sa production chaotique.
Je parlerai ici de la version Redux, sortie en 2001, et qui ajoute près de 50 minutes de scènes supplémentaires par rapport au montage qui avait obtenu la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1979, date de sa première sortie.

La nouvelle de Joseph Conrad, Au Coeur des Ténèbres (publiée en 1899) a tout d'abord intéressé Orson Welles qui a été le premier à vouloir l'adapter sur grand écran. N'ayant pas reçu le soutien espéré des studios de production, Welles abandonne le projet pour se lancer dans la réalisation de Citizen Kane, avec le succès que l'on connaît.
Bien plus tard, George Lucas est pressenti pour réaliser le film mais il préfère se consacrer à son premier Star Wars. C'est donc Francis Ford Coppola qui s’attelle à la tache alors qu'il est tout fraîchement auréolé du succès immense des deux premiers volets du Parrain.

Coppola décide de transposer l'histoire de Conrad (qui se passe à l'origine en Afrique) au Vietnam alors que les Etats-Unis sont encore meurtris par la longue guerre qui s'est achevée à peine un an avant le début du tournage.
L'histoire est celle du capitaine Benjamin Willard (Martin Sheen) qui reçoit l'ordre des services secrets américain d'aller exterminer le colonel Kurtz (Marlon Brando), qui a perdu l'esprit et s'est retranché au Cambodge où les tribus locales le considèrent comme un demi-dieu.
Willard va donc devoir remonter le fleuve en compagnie de ses acolytes afin de retrouver Kurtz.
Lors de son voyage et en lisant le dossier de ce dernier, Willard va au fur et à mesure se rendre compte de la personnalité de Kurtz et réaliser qu'il n'est pas du tout l'homme qu'il avait imaginé.


Apocalypse Now est une des toute première oeuvre de fiction à parler de la guerre du Vietnam (il n'y a guère que Voyage au Bout de l'Enfer qui l'ait précédé) mais ce n'est finalement pas un film réellement centré sur la guerre. Passé les 45 premières minutes avec notamment la mythique scène de l'attaque des hélicoptères sur un air de Richard Wagner et les séquences avec le lieutenant-colonel Kilgore (l'énorme Robert Duvall), le film se calme pour nous plonger dans la moiteur de la jungle en compagnie des occupants du bateau.
A partir de ce moment, le film relate un voyage, celui de l'embarcation qui les mènera jusqu'à Kurtz mais également le voyage intérieur de Willard qui, va se mettre à douter de plus en plus au fur et à mesure qu'il en apprendra plus sur Kurtz et son passé.

Si le film est considéré par beaucoup comme légendaire, ce n'est pas pour rien. Difficile de ne pas être ébouriffé par les visuels qui nous sont proposés : le napalm qui rase une forêt, les hélicoptères devant le soleil, cette photographie...tout respire le Coppola.
Mais le cœur du film, ce qui nous subjugue, nous bouleverse même, c'est ce trip (émotionnel et visuel), ce voyage au bout de la folie, de la démence, ces regards hallucinés, cette violence crue, cette ambiance malsaine. On a les mains moites, comme l'atmosphère, comme cette jungle.

Le personnage de Kurtz est magnifiquement iconifié par Coppola, nous avons en premier sa voix en tout début de film, puis viendront ses textes, puis des photos, toute cette montée en tension pour finalement le voir arriver, tel le demi-dieu qu'il est, après 2h40 de film (!). A cet instant, dès qu'on entend ses déblatérations philosophiques, on en vient à se demander nous-même s'il est réellement fou, s'il n'est pas finalement qu'un énième homme brisé par la guerre...


D'ailleurs, qui de mieux que Marlon Brando, lui-même légende vivante (à l'époque) du cinéma pour se mettre dans la peau de ce personnage aux contours mystiques ? On sait que le tournage avec lui a été difficile (en plus de tout le reste dont je parlerai en fin d'article) et que Coppola a décidé de le filmer en grande partie dans la pénombre et en contre-plongée (et parfois avec une doublure) pour dissimuler son obésité, reste que le résultat est saisissant, encore plus avec la manière dont Brando déblatère ses textes sans jamais vraiment bien articuler, renforçant ce côté inquiétant du personnage.

Je parle de Brando mais le reste du casting n'est pas en reste, Martin Sheen campe son personnage à la perfection, en témoigne cette première séquence dans la chambre d'hôtel qui montre déjà toute la folie qui campe Willard.
Robert Duvall apparaît une trentaine de minutes dans le film mais quelles 30 minutes ! Kilgore est peut-être un des personnages les plus emblématique du métrage grâce à ses nombreuses répliques cultes, on peut, à ce niveau-là, un peu le comparer au Sergent Hartman dans Full Metal Jacket qui volait la vedette à tout le monde dans la première moitié du film. Duvall sera d'ailleurs nominé pour l'Oscar du meilleur acteur dans un rôle secondaire l'année suivante, comme quoi les vieillards de l'académie ont quand même du flaire parfois.

Il est vrai que ces trois gaillards là tirent une grande partie du rideau mais il ne faudrait pas oublier toute la clique qui accompagne Willard sur leur embarcation, que ce soit Laurence Fishburne (qui avait 15 ans au moment du tournage et qui a dû mentir sur son âge pour le rejoindre), Frederic Forrest et sa magnifique moustache, Sam Bottoms ou le commandant du bateau, Albert Hall.


Comme je l'ai mentionné, Apocalypse Now doit sa renommée légendaire à sa maîtrise formelles certes, mais également grâce au tournage qui est devenu de nos jours presque plus connu que le film en soi.
Lors de sa présentation au Festival de Cannes en 1979, Coppola résumait simplement ce qu'avait été Apocalypse Now pour lui : "Ce n'est pas un film sur le Vietnam, c'est le Vietnam", comparant le tournage à ce que les américains avaient vécu lors de la guerre.

Entre dépassement de budget (Coppola a dû mettre de sa poche une grande partie), changement d'acteur principal (après une semaine, Harvey Keitel qui devait jouer Willard est remplacé par Martin Sheen car Coppola était mécontent de ses premières scènes), conditions météo désastreuses aux Philippines (lieu du tournage) et une tendance pour Coppola à devenir de plus en plus paranoïaque au fil du tournage, la production a été un véritable enfer pour toute l'équipe.
Pour en rajouter une couche, il y a aussi eu les caprices de Brando (qu'il voulait absolument dans le film) : cachet mirobolant, surpoids, il arrivait sur le plateau sans savoir ses textes.

Que de soucis en plus pour Coppola qui a en plus dû faire face aux problèmes de santé de Martin Sheen qui fera un infarctus peu après le tournage de la fameuse scène dans la chambre d'hôtel.
Il faut savoir que Sheen, qui avait énormément bu pour se mettre dans la peau de son personnage, n'a pratiquement pas été dirigé pour cette scène particulière, tant Coppola trouvait qu'il habitait bien Willard.
La suite je l'ai expliquée : crise cardiaque, arrêt de travail de 3 semaines (et contre les recommandations du médecin) et obligation pour Coppola de tourner des plans larges avec une doublure car le tournage avait déjà pris beaucoup trop de retard.

Si l'envers du décor vous intéresse, je vous conseille d'ailleurs vivement le documentaire filmé en amateur par la femme de Francis Ford Coppola sur le tournage du film : Aux cœurs des ténèbres : l'apocalypse d'un metteur en scène, qui revient de manière très intéressante sur cette production gargantuesque.


Tout ceci pour au final obtenir le film que l'on connaît et qui est considéré encore aujourd'hui comme un grand classique du cinéma américain.
S'il y a quelque chose que l'on ne peut pas enlever à Francis Ford Coppola, c'est son amour pour le cinéma et sa foi en ce projet qu'il aura soutenu jusqu'au bout, quitte à se mettre au bord de la faillite et à donner de sa personnes (il aura tout de même perdu 40 kilos pendant les 238 jours de tournage) pour faire aboutir un projet qui lui tenait autant à cœur.
Au final, cette abnégation aura payé car le film recevra un excellent accueil critique et marchera très bien en salles, permettant à Coppola d'éviter le gouffre financier auquel il semblait promis.

Alors que Le Parrain revient souvent dans les bouches des gens quand il s'agit de parler du chef-d'oeuvre du réalisateur, Apocalypse Now reste certainement le plus marquant et portera toujours sur lui ce côté un petit peu "mystique" quand on sait tout ce qu'a vécu l'équipe pour lui faire prendre vie.
La version Redux apporte certes quelques longueurs, mais elle ne dénature en rien le premier montage qui n'aura qu'encré encore plus Coppola parmi les plus grands réalisateurs que le cinéma américain ait connu.